L'art de ne rien faire
- Caroline P.
- 6 sept.
- 4 min de lecture
« Qu’as-tu fait ce week-end ? » Derrière cette question anodine se cache une injonction forte : celle d'être toujours en mouvement, toujours productif. Le sentiment de culpabilité qui nous saisit quand on "ne fait rien" est le symptôme d'une société qui a perdu le sens de la pause. Pourtant, ne rien faire est un art ancestral que les Néerlandais ont perfectionné sous le nom de Niksen. Ce n'est pas de la paresse, mais une discipline de l'esprit, un acte délibéré de s'arrêter.
Lecture sociétale : une résistance à l'ère de l'hyperconnexion
Notre société moderne est une société de l'hyperconnexion et de la performance, où l'individu est constamment poussé à l'optimisation. Cette injonction est partout : les écrans, les réseaux sociaux, et la culture du "toujours faire plus". Les loisirs ne sont plus des moments de repos, mais des activités à rentabiliser pour son "développement personnel" (sport intensif, cours de langues, etc.).
Dans ce culte de l'action, "exister" semble se résumer à être actif, à afficher ses réalisations, ses voyages, ses sorties. Cela crée une culpabilité profonde lorsqu'on ne fait rien, car l'inaction est perçue comme un manque de productivité, voire un échec personnel.
Le Niksen est un acte de résistance face à cette tyrannie. Il nous permet de nous déconnecter volontairement de l'hyper-stimulation numérique, des notifications incessantes et des comparaisons sociales. C'est un pas de côté qui nous aide à retrouver notre propre rythme, loin de la pression du paraître.
Le Niksen est un moyen de se réapproprier son temps et de s'affranchir de la validation sociale. C'est un acte simple et puissant qui nous rappelle que notre valeur ne se mesure pas à notre niveau d'activité ou à ce que nous montrons aux autres. Il nous invite à être simplement, sans avoir besoin de faire.
Lecture psychanalytique : le vide fertile
Pour ma pratique de psychanalyste, le Niksen est un accès privilégié à l'inconscient.
Dans le flux constant de Vie, l'esprit est dirigé, contrôlé, et n'a pas la liberté de vagabonder et il se maitrise. En s'autorisant un moment de "vide", on laisse l'ombre et les images intérieures remonter à la surface, comme l'a souligné Carl Jung.
C'est dans ce laisser-aller que se tissent des associations libres, que le refoulement peut s'alléger, et que des intuitions profondes peuvent surgir.
Le Niksen nous offre un espace pour écouter ce qui ne peut être dit, pour faire la paix avec nos pensées sans jugement, et pour se réconcilier avec notre propre complexité.
Les bienfaits du Niksen et ce contre quoi il nous protège
Pratiquer le Niksen, c'est se doter d'outils pour mieux vivre. C'est une lutte quotidienne contre :
Le stress et l'anxiété : Le Niksen permet de réduire le taux de cortisol (l'hormone du stress) et de retrouver un état de calme. Il nous aide à nous défaire de la tension et de l'épuisement mental qui sont les conséquences directes d'une vie sur-stimulée.
La fatigue décisionnelle : En s'arrêtant de penser, on donne à notre cerveau une pause nécessaire après des journées passées à prendre des décisions, grandes et petites. Cela recharge nos ressources cognitives pour le reste de la semaine.
Le manque de créativité : La créativité ne peut pas être forcée. Elle a besoin d'espace pour émerger. Le Niksen fournit cet espace, cet incubateur où les idées peuvent s'assembler sans contrainte, loin de la pression du résultat.
La culpabilité de l'inaction : En reconnaissant le Niksen comme une pratique valable et bénéfique, on déconstruit la honte de "perdre son temps". On apprend à considérer le repos comme une nécessité et non comme un privilège ou une faiblesse.
En somme, le Niksen n'est pas l'art de l'inaction, mais l'art de l'intentionnalité. Il nous invite à reconquérir notre temps, à écouter notre propre rythme et à nous libérer des chaînes de la performance. Alors, la prochaine fois que l'on vous demandera ce que vous avez fait, osez répondre : « J'ai fait du Niksen. J'ai respiré. Et c'était suffisant. »
Comment pratiquer :
1. Commencez petit : la règle des 5 minutes
L'idée de "ne rien faire" pendant une heure peut être anxiogène. C'est pourquoi il est essentiel de commencer avec une durée très courte.
La technique du micro-Niksen : Choisissez un moment de la journée où vous avez un laps de temps libre, même 5 minutes. Asseyez-vous, fermez les yeux ou regardez par la fenêtre. Sans but, sans téléphone, sans musique. Juste vous et vos pensées. L'objectif n'est pas de ne penser à rien, mais d'observer ce qui vient.
Intégrez-le à votre routine : Le Niksen peut s'intégrer dans des moments simples. Au lieu de consulter votre téléphone en attendant le bus ou que votre café coule, regardez simplement autour de vous. C'est un entraînement à l'inaction.
2. Cadrez le Niksen pour rassurer votre esprit
Pour les esprits qui ont besoin de structure, le Niksen peut être présenté comme une "activité" à part entière.
Donnez-lui un nom dans votre agenda : Bloquez 10 à 15 minutes dans votre emploi du temps et écrivez-y "Temps de Niksen" ou "Pause créative". Cela donne à votre cerveau l'autorisation de se détendre, en sachant que c'est une action planifiée.
Créez un rituel de transition : Avant de commencer, faites une petite action qui signale à votre esprit le début de la pause. Rangez votre ordinateur, éteignez les notifications de votre téléphone. Cela marque une frontière claire entre le temps productif et le temps d'inaction.
3. Changez votre perception de l'ennui
Le sentiment de culpabilité provient souvent de notre peur de l'ennui, que l'on associe à la stagnation. Pour le Niksen, il faut le percevoir comme un tremplin.
L'ennui est un signe de repos : Rappelez-vous que l'ennui n'est pas une défaillance, mais le signal que votre esprit a besoin de se réinitialiser. Accueillez-le comme le prélude à un moment de calme et de créativité.
Faites confiance au processus : Laissez votre esprit vagabonder, sans le juger. S'il pense à la liste de courses ou à un dossier du travail, ne luttez pas. L'objectif est simplement d'être là, sans chercher à contrôler le flux de vos pensées.
En résumé, pour réussir à pratiquer le Niksen, il faut d'abord l'accepter comme une nécessité et non comme une perte de temps. En commençant petit et en le structurant comme une étape vers le bien-être, vous apprendrez progressivement à vous défaire de la pression de devoir être toujours productif.
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