L'Abandon
- Caroline P.
- 6 sept.
- 3 min de lecture
Au cœur de nos relations, une ombre se dessine parfois : la blessure de l’Abandon. Elle serre la gorge comme une main invisible et ouvre sous nos pieds un gouffre silencieux.
C’est le vertige du vide : la peur d’être laissé seul, privé du fil qui nous relie à l’autre. Cette douleur n’est pas toujours visible ; elle est une cicatrice ancienne, réveillée à chaque séparation, à chaque silence trop long, à chaque promesse déçue.
Entre passé et présent : dépasser la recherche d’un coupable
Historiquement, la psychanalyse a exploré cette blessure dans l’enfance, la reliant à des carences précoces ou à des absences parentales. Mais la psychanalyse contemporaine nous invite à élargir le regard. Tout ne provient pas de l’enfance, et tout n’est pas la "faute" des parents. La peur d’être abandonné ne se réduit pas à un épisode fondateur unique : elle se rejoue, se transforme et se colore à chaque étape de la vie. Le travail thérapeutique ne consiste donc pas à désigner un coupable, mais à comprendre comment cette peur a façonné nos liens, notre rapport à nous-mêmes et à l’autre.
Abandon réel et perte symbolique
Le sentiment d’abandon peut naître d’un deuil, d’une séparation ou d’un départ brutal. Mais il existe aussi une forme plus insidieuse : la perte symbolique.Un enfant peut grandir auprès de parents physiquement présents mais émotionnellement absents. Ce n’est pas un abandon tangible, mais une absence de chaleur, une présence sans résonance, qui imprime en lui l’expérience d’un vide affectif.
À l’âge adulte, cette blessure se rejoue chaque fois que l’on se sent "laissé de côté", délaissé au profit d’un travail, d’une passion, d’une autre personne. Ce n’est plus seulement la peur de perdre l’autre, mais la sensation d’avoir perdu sa place.
Les symptômes de la blessure d’abandon
En thérapie, il se révèle à travers des schémas récurrents :
Dépendance affective : s’accrocher à l’autre, quitte à s’oublier.
Quête d’approbation : devenir ce que l’on croit que l’autre attend, pour ne pas risquer la séparation.
Anxiété de séparation : panique face à l’absence, même brève.
Hypersensibilité : chaque distance, chaque silence devient une menace.
Auto-sabotage : provoquer la rupture avant d’être quitté, pour garder l’illusion du contrôle.
Abandon et rejet : blessures jumelles
Il est utile de distinguer le sentiment d’abandon de celui du rejet, même s’ils s’entrelacent souvent.
Le rejet dit : « Tu n’es pas désiré, tu es repoussé ». Il mène à l’isolement.
L’abandon dit : « Tu n’es pas assez important pour qu’on reste ». Il mène à l’attachement excessif.
Ces deux blessures, bien que différentes, s’alimentent mutuellement et renforcent le vertige du vide.
Le regard de Lise Bourbeau : le masque de la dépendance
Lise Bourbeau a proposé une grille de lecture utile avec sa théorie des cinq blessures. Selon elle, l’abandon se cache derrière le masque de la dépendance. La personne, pour apaiser sa peur, cherche constamment la présence d’autrui. Ce masque, loin d’être une identité véritable, est une protection. Le travail thérapeutique consiste à le reconnaître comme tel, pour progressivement s’en libérer et construire une sécurité intérieure autonome.
Le miroir de la société : l’abandon à l’ère moderne
La blessure d’abandon ne se limite pas aux histoires personnelles. Elle reflète aussi une souffrance collective.
Nous vivons dans un monde où les liens communautaires se délitent, où les familles se dispersent, où la connexion numérique se substitue à la présence réelle. Mais cette "connexion" ne comble pas : elle fragmente, et l’absence d’un message ou d’un "like" devient une micro-blessure, un micro-abandon.C’est ainsi que le vide prend une dimension sociale : hyperconnectés, mais souvent plus seuls que jamais.
De la blessure à la transformation
Comprendre le sentiment d’abandon, c’est entreprendre un voyage courageux dans les profondeurs de notre psyché. Il ne s’agit pas de supprimer la blessure, mais de la transformer.
Dans une perspective jungienne, cette blessure fait écho à l’archétype de l’Orphelin : celui qui vit la perte comme une condamnation à la solitude, mais qui porte aussi la force de chercher en lui ses propres ressources. Elle convoque aussi l’Amoureux, dans sa quête incessante de fusion et de reconnaissance, et le Soignant, qui se dévoue aux autres pour ne pas ressentir son propre vide.
Ces archétypes protègent, mais enferment lorsqu’ils prennent toute la place. La guérison consiste à les reconnaître, à voir en eux des parts blessées de nous-mêmes, et à les transformer en alliés intérieurs.
Apprivoiser l’abandon, c’est apprendre à se relier sans se perdre, à aimer sans se dissoudre, à être présent à soi avant d’exiger la présence de l’autre.
.png)



