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L'Atelier de la Psyché

Juin : Le conte de la lune des Promesses

Dernière mise à jour : 27 sept.

A l'écoute du lien

La Marcheuse avait toujours aimé l'art délicat de tisser des liens. Chaque rencontre était pour elle une tapisserie vivante, chaque conversation un fil d'or ou d'argent qu'elle nouait avec une infinie patience. Elle savait prendre soin, arroser les amitiés d'un mot doux, d'une présence fidèle, d'un silence partagé. C’était sa nature, sa plus belle façon d’aimer.


Mais depuis quelque temps, un parfum plus amer flottait autour d'une de ces toiles, une relation jadis précieuse. Une lassitude s'était installée dans ses gestes, un poids dans sa poitrine chaque fois qu'elle y pensait.

C'était un écart invisible pour les autres, mais pour elle, il était devenu un gouffre. Elle se forçait à sourire, à maintenir les apparences, se répétant que ce n'était qu'un passage, une saison difficile. Mais son cœur, lui, ne mentait pas. Il se contractait, fatigué de prétendre.


Un soir, alors que la Pleine Lune de Juin montait lentement dans un ciel d'encre et de velours, brillante comme une promesse qu'on se fait à soi-même, la Marcheuse sentit le besoin irrépressible de quitter le village et ses murmures. Il lui fallait de l'air, de l'altitude, de la vérité.


Seule, elle gravit la montagne. Chaque pas sur le sentier escarpé était un effort qui la délestait d'un faux-semblant. La forêt s'assombrit, les bruits s'éteignirent, et bientôt, il n'y eut plus que le son de sa propre respiration et le martèlement de son cœur. Ses pas la menèrent jusqu’au sommet, là où un lac d’altitude dormait, enchâssé dans la roche comme un œil ouvert sur le cosmos.


Là-haut, le silence était total. Dense. Presque assourdissant. L’eau, lisse comme du verre noir, reflétait l’Astre-Lune et les myriades d'étoiles avec une clarté troublante. C'était un miroir parfait, impitoyable de vérité.


Elle s’agenouilla au bord du rivage et plongea ses mains dans l’onde glacée. Un frisson parcourut son dos, non de froid, mais de reconnaissance. Son reflet, d'abord net, se brisa en mille fragments dansants à la moindre ondulation. Elle y vit des éclats de souvenirs heureux, des rires partagés, puis des images plus récentes, floues, discordantes. Sa relation était devenue cela : tantôt claire, tantôt trouble, et de plus en plus illisible.


Alors une voix douce, portée par le vent nocturne qui s'était levé, murmura à son oreille : — « Les liens ne sont pas des statues de pierre. Ils sont comme la surface de l’eau : vivants, mouvants, jamais figés. »


Elle ferma les yeux, laissant le souffle du vent la pénétrer. Et tout en elle se mit à parler. Sa fatigue, qui était plus lourde qu'un roc. Son besoin viscéral d'harmonie. Son désir d’un amour qui respire, pas d’un attachement figé par l'habitude ou la peur du vide.

« Qu’as-tu projeté sur ce lien pour le vouloir si parfait ? » souffla le vent, insistant.


Elle vit alors surgir les images avec une clarté douloureuse : son besoin d'être reconnue, d'être aimée sans conditions. Le rêve d'une fusion parfaite où les âmes se devinent sans parler. Mais avait-elle vraiment écouté ce que l'autre projetait sur elle ? Avait-elle laissé la place à son mystère, à son altérité… ou avait-elle seulement cherché un miroir pour s'y admirer, s'y rassurer ?


Un bruissement subtil, une vibration dans l'air, la tira de ses pensées. Sur un rocher baigné de lune, une Abeille, bien plus grande que nature, lissait ses ailes diaphanes.

Son corps velouté semblait capter la lumière des étoiles. D'un vol lent et délibéré, elle plana jusqu'à la Marcheuse et vint se poser sur le dos de sa main. Sa présence était étonnamment légère, mais son bourdonnement était une vibration profonde qu'elle sentit jusque dans ses os.


— « Tu cherches la vérité de ce lien, n’est-ce pas ? » dit l’Abeille, sa voix vibrante comme une corde de harpe. — « Oui, » répondit la Marcheuse, la gorge nouée. « Mais je ne sais plus si je dois continuer à nourrir cette relation… ou la laisser mourir de sa belle mort. »


L’Abeille cligna doucement de ses antennes polies comme du jais.

« Une ruche se construit ensemble. Pas seule. Chaque cellule de cire, chaque alvéole de miel est un accord, une danse, une promesse tenue. Si l’équilibre est rompu, si une seule abeille travaille tandis que l'autre oublie le chemin des fleurs, la ruche dépérit. »


La Marcheuse sentit les larmes monter et perler sur ses cils. « Je voudrais parler. Dire ce que je ressens. Mais j'ai si peur de blesser, de tout détruire. »

« Alors écoute-toi d'abord, jusqu'au fond de ton silence, » conseilla l'Abeille.

« Puis parle depuis ton centre. Non pour accuser ou pour convaincre, mais pour révéler ta propre vérité. La communication est une danse. Tu proposes un pas. Si l’autre danse encore avec toi, vous retrouverez ensemble le rythme. Sinon… le silence qui suivra ne sera pas une fin violente, mais une séparation douce, comme deux chemins qui s'écartent naturellement. »


La Marcheuse ferma les yeux. Elle respira profondément, et entendit alors, dans le calme retrouvé, battre le tambour de son ventre. Un chant intérieur s'éleva, une vérité enfouie, simple et claire. Ce n'était ni de la colère, ni de l'accusation. C'était un besoin profond et légitime de clarté, de sincérité, de réciprocité. Un besoin de sentir que la ruche était encore vivante.


Quand elle rouvrit les yeux, le ciel commençait à pâlir à l'est. Au loin, sur la crête de la montagne voisine, un couple de Biches traversait le paysage naissant. Elles marchaient ensemble, paisibles et liées, mais sans aucune chaîne. Libres.


Elle se leva, le corps léger, le cœur apaisé. Ce jour-là, elle parlerait.

Elle ne chercherait ni à rompre, ni à retenir.


Elle offrirait sa vérité comme on offre une fleur, sans attente. Et selon la réponse, selon la danse, elle saurait si la ruche pouvait être reconstruite, ou si la saison était venue pour elle de partir, sans amertume, vers d’autres floraisons, vers d'autres constructions.


Les enseignements du conte :


🐝 Une relation, ça se co-construit

Comme le dit l’Abeille, une ruche ne tient pas sur une seule paire d’ailes. En psychanalyse, on dirait que le lien est un "tiers", une entité psychique créée par deux personnes, mais qui existe indépendamment d'elles. Quand ce "nous" est sain, il est nourri par la réciprocité. Quand il dépérit, c'est souvent parce que l'un des deux (ou les deux) n'interagit plus avec la personne réelle, mais avec la projection de ses propres besoins, de ses manques ou de ses scénarios inconscients. On ne nourrit plus la ruche, on essaie de combler un vide intérieur.

  • Question à soi-même :

    • Est-ce que j'interagis avec l'autre, ou avec l'image idéalisée (ou redoutée) que j'ai projetée sur lui/elle ?

    • Suis-je dans un lien vivant, ou est-ce que je m'accroche au souvenir de ce qu'il a été ?


🌊 Écouter la surface… et déchiffrer l’inconscient

Le lac reflète la relation : la surface, c'est le conscient, les échanges quotidiens, les apparences. La profondeur, c'est l'inconscient, le lieu des véritables courants émotionnels. Quand le mental est trop bruyant, l'inconscient parle à travers le corps. Le corps ne ment pas. Une tension dans la nuque, un nœud dans le ventre, une résistance à un appel... sont des messages directs de notre psyché profonde.

  • Pratique douce :

    • S’éloigner momentanément d’un lien pour écouter son ressenti, loin du bruit de l'autre.

    • Observer ce que dit le corps quand on pense à cette personne : est-ce que ça respire ou est-ce que ça se serre ? Y a-t-il un élan vital ou une fatigue soudaine ? C'est le langage de votre inconscient.


🔥 La parole pleine : un feu qui éclaire, pas qui brûle

La parole juste, celle qui peut transformer un lien, n'est ni une accusation, ni une plainte. C'est ce que la psychanalyse appelle une "parole pleine". Elle émerge non pas pour convaincre l'autre ou pour avoir raison, mais pour se révéler soi-même, pour s'affirmer en tant que "sujet" désirant. Parler depuis son centre, c'est passer du statut d'objet (qui subit, qui attend, qui réagit) à celui de sujet qui énonce sa vérité et son besoin, sans en faire une exigence.

  • À explorer :

    • Puis-je formuler mon ressenti (ex: "je me sens seul(e) dans ce lien") sans le transformer en accusation (ex: "tu me laisses toujours seul(e)") ?

    • Suis-je capable de dire ce que je ressens sans me justifier, juste parce que c'est ma vérité ici et maintenant ?


🌿 Le lien n’est pas l’autre : sortir de la fusion

La Marcheuse fait une découverte fondamentale : elle ne doit plus confondre l'autre avec la relation elle-même. C'est la sortie de l'illusion fusionnelle. Le lien est cet "entre-deux", cet espace psychique que l'on co-crée. Si cet espace devient invivable, cela ne signifie pas que l'autre est "mauvais" ou que soi-même est en faute. Cela signifie que la dynamique, la "chimie" inconsciente entre les deux, n'est plus nourrissante. Aimer l'autre, c'est aussi être capable de voir quand le "nous" ne fonctionne plus.

  • Sagesse à retenir :

    • L'amour mature, ce n'est pas s'accrocher à l'autre (logique de l'attachement angoissé), c'est être capable d'accompagner le lien, y compris dans sa fin éventuelle.

    • Parfois, laisser partir le lien est le plus grand acte de respect pour soi et pour l'autre.


💛 Aimer : entendre sans se perdre, être seul à deux

Le psychanalyste Winnicott parlait de la capacité à "être seul en présence de l'autre" comme d'un signe de grande maturité affective. C'est l'enseignement final de l'Abeille : une écoute à trois niveaux.

  1. S'écouter soi (ses besoins, ses limites - le narcissisme sain).

  2. Écouter l'autre (son altérité, ses propres projections - l'amour d'objet).

  3. Écouter le lien (ce que devient le "nous"). C'est en tenant ces trois pôles que l'on peut faire un choix juste, qui n'est pas une réaction, mais une réponse issue d'une véritable élaboration psychique.

    Petit rituel proposé :

    • Écrire deux lettres (sans les envoyer) :

      • Une à l’autre, pour laisser émerger sans filtre tout ce que l'inconscient veut déposer (colère, tristesse, déception...).

      • Une à soi, pour formuler ce que vous attendez d'un lien qui vous nourrit vraiment.

    • Relire les deux... et sentir ce que cette mise en mots révèle de vos désirs profonds.


 
 
 

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