Janvier : Le conte de la lune du Loup
- Caroline P.
- 2 juil.
- 6 min de lecture
Le Chant de la Solitude
Janvier avait posé son manteau de givre sur la Terre. La chaleur des fêtes de décembre s'était retirée, laissant place à un silence d'une pureté cristalline. Dans sa chaumière, la Marcheuse ressentait l'écho de ce grand calme. Mais cette paix, si chèrement acquise, avait un goût nouveau : celui de l'espace. Son âme, autrefois un jardin en friche à soigner ou une forêt d'ombres à traverser, était devenue un royaume. Un royaume vaste, silencieux et clair. Et face à cette immensité qui était maintenant la sienne, un vertige la saisit. Que fait-on d'un territoire intérieur quand on est seule pour le gouverner ? Comment en être la reine, et pas seulement l'habitante ?
Poussée par cette question, elle sortit dans la nuit glaciale. Elle ne fuyait rien. Elle allait à la rencontre de son propre royaume. La neige crissait sous ses pas, seul son dans un univers muet. Elle marcha loin, jusqu'à un plateau surélevé où le monde semblait s'ouvrir sur l'infini. La pleine lune, haute et crue, était la Lune du Loup, une lumière argentée qui ne pardonnait aucune illusion et révélait la structure cachée du monde.
C'est alors qu'un son s'éleva, venu de la crête opposée. Un hurlement. Long, pur, il ne déchirait pas le silence : il le sculptait. Un frisson primordial parcourut la Marcheuse. Ce n'était pas de la peur, mais de la reconnaissance. Elle vit une silhouette se dessiner. Un Loup. L'esprit même de ce territoire. Il se tenait là, seul, maître de la nuit et du froid. Il hurla de nouveau.
Et cette fois, la Marcheuse comprit la nature de ce chant. Ce n'était pas un cri de solitude. C'était un acte de souveraineté. Le son voyageait, frappait les montagnes lointaines et revenait en écho, permettant au Loup de cartographier son immense territoire par la seule force de sa vibration. Il ne subissait pas le silence ; il le remplissait de sa propre présence, transformant un espace vide en un royaume vivant. Son chant ne demandait aucune permission. Il était l'affirmation pure : "Ceci est mon espace. Et en son sein, je suis."
La Marcheuse sentit le vertige s'apaiser, remplacé par une compréhension profonde. La voix de l'Astre-Lune, claire comme le givre, vint confirmer sa pensée.
« La peur que tu ressens, Marcheuse, n'est pas celle du vide"
C'est alors que la lumière de la lune sembla se densifier, et que sa voix l'enveloppa, non pour donner un ordre, mais pour éclairer sa peur.
« Tu dis que la solitude est parfois lourde, Marcheuse, et tu as raison. Mais ce que tu nommes 'lourdeur' n'est pas le poids de la solitude elle-même. C'est le poids de tout ce que le bruit du monde te permettait de ne pas entendre. La solitude est un miroir qui ne ment pas. Elle ne crée pas les fantômes du passé ; elle te les révèle enfin. C'est le vertige du souverain devant l'immensité de son propre royaume. Tu as passé tant de temps à visiter les terres des autres et à soigner les tiennes. Il est temps maintenant d'y régner. Ne cherche pas à le remplir. Apprends à le connaître. Fais-y résonner ta propre voix, et ce territoire immense deviendra ton plus grand sanctuaire et ta plus grande force. »
Les mots de la Lune donnèrent à la Marcheuse le courage dont elle avait besoin. Elle ferma les yeux. Elle ne chercha pas une parole, mais descendit dans son ventre, là où résidait sa force la plus instinctive. Elle sentit monter en elle une vibration, une note pure qui était la sienne. Elle ne la laissa pas sortir en un cri, mais la laissa l'emplir de l'intérieur. C'était son propre hurlement silencieux, le chant de son âme qui prenait possession de son propre espace.
«Fais comme le Loup. Chante plus fort. Non pas avec ta gorge, mais avec ton être. Remplis ton propre espace de ta propre vibration. Chaque fois que tu choisis une pensée qui te nourrit, tu chantes. Chaque fois que tu te pardonnes une imperfection, tu chantes. Deviens ton propre refuge.
Apprends à aimer ce territoire silencieux. Fais-en ton allié. Alors, tu verras qu'il n'était pas lourd. Il était simplement vaste, attendant que tu aies le courage de le déclarer tien. Et de cet espace, tu pourras aller vers les autres, non plus pour fuir le silence, mais pour partager la richesse de ton royaume. »
Le Loup, au loin, lui jeta un bref regard, deux étincelles dans la nuit, comme un signe de reconnaissance entre souverains. Puis il disparut dans l'ombre.
La Marcheuse resta encore un long moment, assise dans la neige. Elle ne se sentait plus perdue dans son immensité intérieure. Elle se sentait chez elle. Son silence n'était plus un vide, mais un territoire sacré, vibrant de sa propre présence.
Elle se releva, plus droite, plus entière. En regardant l'horizon, elle sentit une nouvelle promesse. La période la plus sombre touchait à sa fin. Elle savait que bientôt, de ce royaume intérieur bien gardé et clairement défini, naîtrait une nouvelle envie, une nouvelle faim. Bientôt, la terre encore gelée laisserait poindre une première lueur. La saison de l'étincelle arriverait, et la reine serait prête, au cœur de son royaume, à l'accueillir.
Les Enseignements du conte :
La Pleine Lune de Janvier, la Lune du Loup, nous éclaire d'une lumière froide et sans concession. Elle nous invite, après le repos et la chaleur des fêtes, à nous confronter à notre propre immensité. C'est une lune qui n'enseigne pas la communauté, mais la souveraineté. Elle nous demande : maintenant que tu es en paix, qui est le gardien de ce silence ?
👑 De la Solitude au Royaume : Changer de Perspective
Le conte nous montre un changement de perception fondamental. La solitude, souvent vécue comme un manque ou un vide à combler, est ici présentée comme un territoire. Un espace qui nous appartient en propre. La peur de la solitude n'est souvent que le vertige que l'on ressent face à l'immensité de notre propre royaume intérieur, dont on n'a pas encore appris à être le souverain.
Questions introspectives : Quand je suis seul(e), est-ce que je ressens un manque ou est-ce que je ressens un espace ? Comment puis-je commencer à voir cet espace non comme un vide, mais comme mon propre territoire à explorer ?
🗺️ Cartographier son Territoire Intérieur
Le hurlement du Loup est un acte de cartographie. Le son qu'il émet lui permet de connaître les contours de son domaine. De la même manière, pour habiter notre royaume intérieur, nous devons apprendre à le connaître. Cela passe par l'introspection : identifier nos frontières (nos limites non négociables), nos richesses (nos talents, nos joies), nos zones d'ombre (nos peurs) et nos fleuves de vie (nos passions). Connaître sa carte, c'est la première étape pour ne plus se sentir perdu chez soi.
À explorer : Prenez un carnet et sans trop réfléchir, listez : Quelles sont les "frontières" de mon territoire (ce que je n'accepte plus) ? Quelles en sont les "richesses" (ce qui me met en joie) ? Quelles en sont les "zones de brume" (ce qui me questionne encore) ? Commencez simplement à dessiner votre carte.
🗣️ Trouver son "Chant" : La Vibration de l'Authenticité
Habiter son territoire, c'est le faire vibrer de sa propre présence. Le "chant" ou le "hurlement" symbolise notre vérité intérieure, exprimée sans filtre et sans attente d'approbation. Ce n'est pas forcément une parole, cela peut être un choix, une création, une décision qui vient du plus profond de nous et qui dit "Voilà qui je suis". C'est cette vibration authentique qui transforme un espace vide en un royaume vivant et qui repousse les "fantômes" des attentes des autres.
Pratique douce : Identifiez une petite chose que vous voulez vraiment aujourd'hui, même si elle semble insignifiante. Faites-la, en pleine conscience. Sentez la petite vibration de justesse que cela crée en vous. C'est le début de votre chant.
🤝 La Souveraineté : Le Socle de la Vraie Rencontre
La leçon ultime de ce conte est que l'on ne devient pas souverain(e) de son territoire pour s'isoler du monde. Au contraire. C'est parce que l'on est solidement ancré dans son propre royaume que l'on peut aller à la rencontre des autres de manière saine et équilibrée. On ne cherche plus chez l'autre un refuge ou un sauveur, car on est son propre refuge. La connexion ne naît plus du besoin, mais du choix. C'est une rencontre entre deux souverains, chacun maître de son propre territoire.
Question finale : Dans mes relations, est-ce que j'agis depuis mon "territoire" (mes valeurs, mes besoins) ou est-ce que je passe mon temps à visiter le territoire de l'autre en m'oubliant moi-même ?
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